Les règles sur le campus

Henrika Larochelle
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juin 27, 2025

Le combat pour l'équité menstruelle a parcouru un long chemin depuis l’époque où il se résumait à réclamer des tampons gratuits dans les écoles. Aujourd’hui, le mouvement s’est transformé en un véritable enjeu de justice sociale, d'inclusion, et de remise en question des systèmes créant des barrières pour les personnes menstruées.

Le mois passé, Monthly Dignity, l'Université Concordia, et le Collège Douglas ont collaboré pour organiser la deuxième édition du symposium annuel « Les règles sur le campus », à l'Université McGill. Cet évènement a réuni militant·e·s, chercheur·e·s, entrepreneur·e·s, et étudiant·e·s autour d’un objectif commun : faire le bilan des avancées réalisées et définir le futur de la lutte (1). En tant que militant·e·s engagé.e.s dans la communauté montréalaise, nous souhaitons partager quelques points clés de cette journée pour nourrir notre action collective (2).

Tout le monde mérite la dignité

L’un des thèmes les plus marquants du symposium , portait sur l’engagement des militant·e·s à garantir que l'expansion du mouvement d'équité menstruelle place véritablement au centre toutes les personnes menstruées.

C'est un thème important car les personnes trans et non-binaires font face à des défis uniques pour accéder aux produits menstruels et aux soins de santé. La recherche du Dr Elgin Pecjak a montré comment les approches traditionnelles rendent souvent les personnes trans menstruées invisibles (3). Ça n’est pas juste une question de langage — il s’agit de s'assurer que nos programmes et nos espaces soient véritablement accueillants pour toute les personnes menstruées, sans exception.

Lorsqu’on parle d'accueillir toutes les personnes menstruées, il faut considérer que les personnes en situation de handicap ont besoin de bien plus qu’un simple accès physique aux produits. Le travail de Jessie Funk a révélé que la véritable équité implique de prendre en compte l'accessibilité cognitive, la fonction motrice, et les besoins sensoriels (4). De même, la création de vidéos en ASL par Holly Johnston pour les personnes sourdes et malentendantes qui menstruent a souligné comment l'accessibilité linguistique est tout aussi cruciale — ces communautés manquent souvent d'accès à l'éducation sur la santé menstruelle dans leur propre langue (5). Ces exemples démontrent que l'inclusion exige bien plus que de bonnes intentions, des efforts proactifs à travers plusieurs dimensions d'accessibilité, sont nécessaires. 

Au-delà de l'accessibilité, le symposium a aussi mis en lumière la diversité des barrières culturelles selon les communautés. Diana Palacios Diaz, qui travaille avec les communautés latino-américaines, nous a rappelé que la sensibilisation efficace nécessite de comprendre comment différentes cultures vivent la stigmatisation menstruelle (6). 

Innovation centrée sur la justice

La conférence nous a défié-es à penser au-delà de la simple création de nouveaux produits (7). La véritable innovation émerge lorsqu’on se demande : « Est-ce que cela fait avancer la justice ? »

Plutôt que de développer une autre coupe menstruelle ou serviette, les entrepreneur·e·s orienté·e·s vers la justice — Leisa Hirtz, Marielle La Rue, pis Sabiha Sultana — se demandent (8; 9; 10; 11):

  • Est-ce que c'est écologiquement durable ?
  • Est-ce que les personnes à faible revenu peuvent vraiment se le permettre ?
  • Est-ce que ça respecte les différents besoins culturels ?
  • Est-ce que ça donne aux utilisateur·rice·s un vrai choix et de l'autonomie ?

 

Comme une présentatrice l'a dit, nous avons besoin de dépasser les « solutions performatives » — ces changements qui paraissent bien mais qui ne s'attaquent pas vraiment aux problèmes de fond. Cette réflexion nous interpelle directement en tant qu'organisations : proposons-nous simplement des solutions temporaires, ou travaillons-nous vers un véritable changement systémique ?

Plusieurs chemins, un mouvement unifié

Ce qui est remarquable dans le mouvement actuel pour la justice menstruelle, c'est la diversité d’approches adoptées - et la façon dont elles se renforcent mutuellement (12).

Les témoignages personnels aident à briser la honte et la stigmatisation. Lorsque les gens partagent leurs expériences menstruelles, cela crée un espace pour que d'autres fassent pareil et génère une compréhension nécessaire aux changements politiques.

La recherche académique fournit les preuves nécessaires pour militer pour de meilleures politiques et du financement. Les chercheur·e·s documentent ce que plusieurs d'entre nous savent déjà par expérience — que les systèmes actuels ne fonctionnent pas pour tout le monde (13).

L'éducation créative rejoint le monde de nouvelles façons. Les zines, par exemple, utilisent la culture DIY pour partager l'information sur la santé menstruelle dans des formats qui sont accessibles et adaptés aux jeunes, plutôt que cliniques ou moralisateurs (14).

Le plaidoyer politique travaille à changer les lois et les pratiques institutionnelles. Les jeunes militant·e·s apportent l'expérience vécue directement aux décideur·e·s, exigeant de la reddition de comptes lorsque les politiques échouent à générer un changement réel (15).

Les défis persistants

La conférence a été transparente à propos des tensions continues dans le mouvement. Parmis les débats clés :

  • Comment s'engager avec les institutions pour créer du changement sans les laisser récupérer notre message ou diluer nos demandes ?
  • Est-ce qu'on devrait promouvoir des programmes qui servent tout le monde également, ou concentrer les ressources sur les communautés les plus marginalisées en priorité ?
  • Bien que le mouvement soit devenu plus inclusif, on a encore besoin de mieux centrer les voix des peuples autochtones, des immigrant·e·s, des personnes en situation d'itinérance, et d'autres qui font face à plusieurs barrières.

 

Même si ces tensions n'ont pas de solutions simples, les nommer ouvertement nous aide à naviguer le chemin vers une justice menstruelle plus équitable.

Implications pour notre travail

Si vous n’avez pas pu assister au symposium, voici quelques enseignements clés qui ont émergé de la journée et qui peuvent renforcer notre travail :

  • Plutôt que de modifier des programmes existants pour les communautés marginalisées, nous devrions concevoir avec des besoins divers en tête dès le début.
  • L'équité menstruelle se connecte au logement, aux soins de santé, à l'éducation, au statut d'immigration, et à la justice économique. Notre plaidoyer doit refléter ces connexions.
  •  Il y a de la place pour les services directs, le travail politique, l'éducation, la recherche, mais aussi le changement culturel. Nous n’avons pas tous-tes besoin de faire la même chose pour faire partie du même mouvement.
  • Le mouvement évolue rapidement. Nous devons rester connecté·e·s aux communautés que nous servons et être prêt·e·s à adapter nos approches selon nos apprentissages.

 

Alors que le paysage d'équité menstruelle montréalais continue de grandir, ces leçons vont nous aider à travailler plus efficacement ensemble vers un changement systémique.

Avancer ensemble

La conférence « Les règles sur le campus » nous a rappelé que l'équité menstruelle ne concerne pas juste les règles — il s’agit de dignité, de justice, et de créer un monde où chacun.e peut participer pleinement dans sa communautés peu importe son corps ou son identité.

Le chemin vers l'avant nous concerne tous — que vous fassiez du bénévolat avec des organisations locales, que vous militez dans votre travail ou votre école, que vous souteniez des changements politiques, ou que vous parliez simplement ouvertement des menstruations avec vos ami·e·s et famille. Chaque action contribue à une culture où tous les corps sont respectés et soutenus.