J’ai eu mes premières règles le matin de ma deuxième journée à l’école de ski — quel timing, n’est-ce pas ? Ma mère a fouillé dans l’armoire de la salle de bain et a sorti ce qui ressemblait à une serviette menstruelle sortie du Moyen Âge, puisque les tampons n’étaient pas une option. Pendant que notre autobus serpentait les routes de campagne vers la montagne, des vagues d’inconfort traversaient mon corps. J’étais douloureusement conscient·e de chaque sensation, à l’intérieur comme à l’extérieur, incapable de gérer ce trop-plein sensoriel.
Je ne savais pas encore que cela deviendrait un combat mensuel. Quand mes ami·es sont passé·es aux tampons, j’ai essayé, encore et encore… mais je n’ai jamais réussi. En dépit de nombreuses tentatives, je n'ai jamais vécu ce fameux moment « tu ne le sens même pas » que tout le monde m'avait promis. Même les serviettes jetables me dérangeaient — j’étais constamment conscient·e de leur présence. Il m’est arrivé de pleurer, juste parce que je voulais me sentir bien.
C’était le début d’un long processus pour comprendre comment mon TDAH affecte mes règles… et comment mes règles affectent mon TDAH.
Le lien caché
Bien que les menstruations affectent près de la moitié de la population, l'intersection entre les règles et la neurodivergence reste largement inexplorée. Beaucoup de personnes neurodivergentes éprouvent des défis supplémentaires pendant leur règles, pourtant la recherche sur ce sujet reste limitée. Résultat : de nombreuses personnes souffrent en silence ou se font carrément rejeter quand elles cherchent de l’aide.
J'en ai fait l'expérience directement quand les médecins m'ont dit que j'«inventais» le fait de pouvoir sentir les tampons et que « les crampes sont normales » — même quand je vomissais de douleur. J’ai fini par éviter de consulter, me disant que je devais juste endurer. Mais éventuellement, j’ai trouvé un·e médecin (qui menstruait aussi), qui m’a réellement écouté·e et m’a aidé·e à chercher les soins que je mérite.
Ce que dit la science
La neurodivergence La neurodivergence décrit le spectre des différentes façons dont les gens pensent, ressentent et vivent la vie. Ça inclut souvent les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), celles avec un trouble déficitaire de l’attention (TDA/TDAH), ou celles avec des troubles d’apprentissage(Harvard).
Et le lien entre neurodivergence et troubles menstruels est frappant. Par exemple, le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM) — un problème qui cause des épisodes sévères de dépression, d’anxiété et de sautes d’humeur avant les règles — touche (ADDitude):
- jusqu’à 92 % des femmes avec un TSA,
- 46 % des femmes avec un TDAH,
- contre seulement 3 à 9 % des personnes neurotypiques menstruées.
Cette différence énorme serait liée à trois facteurs : la génétique, la sensibilité hormonale et la sensibilité sensorielle.
Hormones et neurochimie
Durant le cycle menstruel, les hormones comme l’œstrogène et la progestérone influencent non seulement le corps, mais aussi la chimie de notre cerveau. Les œstrogènes, par exemple, sont essentiels à la production et à l’utilisation de la dopamine — un neurotransmetteur clé pour le TDAH (ADDitude).
Voici ce qu’on observe souvent :
- Quand les œstrogènes sont élevés (milieu de cycle) : les symptômes du TDAH s’allègent. Meilleure concentration, plus de clarté mentale, humeur plus stable.
- Quand les œstrogènes sont bas (avant et pendant les règles) : les symptômes empirent. Difficultés à se concentrer, mémoire qui flanche, exécution des tâches ralentie (Adult ADHD Centre)
Ce yo-yo hormonal expliquerait en partie pourquoi le TDPM est plus fréquent chez les personnes neurodivergentes. Et certaines recherches suggèrent même que les médicaments pour le TDAH pourraient être moins efficaces pendant les règles (je le confirme à 100 %)(Jong, 2023). Avant et pendant mes règles, j'ai des difficultés à accomplir mes tâches quotidiennes, à réguler mes émotions et je constate souvent un changement drastique dans ma productivité au travail.
L’hypersensibilité sensorielle
Les règles peuvent être inconfortables pour tout le monde, mais les personnes neurodivergentes éprouvent souvent une sensibilité sensorielle accrue. Les crampes, les maux de tête et la réalité physique des saignements peuvent être accablants et déstabilisants, créant des obstacles aux activités quotidiennes normales. La majorité des produits sur le marché ne sont pas pensés pour des gens qui vivent ce genre de réalité. Et pour les personnes ayant une conscience accrue de leur corps, avec de la misère pour exprimer ce qu’elles ressentent, c’est encore plus difficile.
Chaque personne vit ses menstruations à sa façon. Certain·es adorent les coupes ou les disques menstruels. D’autres utilisent des aides à l’insertion. D’autres encore choisissent de saigner librement. Pour moi, c’est les sous-vêtements menstruels qui m’ont changé la vie. C’est confortable, ça ne frotte pas, il n’y a pas d’adhésif qui colle, je n’ai rien à insérer, et certains tiennent jusqu’à 4 tampons. Je les change deux fois par jour et j’oublie presque que j’ai mes règles.
Trouver des solutions et une communauté
Lorsque l’on est neurodivergent·e, les menstruations peuvent mener à un épuisement complet, à de la confusion mentale, et rendre les tâches quotidiennes vraiment difficiles. L’impact peut être majeur, autant dans sa vie personnelle que professionnelle.
Mais il y a aussi de l’espoir. Trouver un milieu de travail ou des ami·es compréhensif·ves, apprendre à défendre ses besoins, découvrir ce qui marche pour soi — cela peut transformer sa vie.
Ce qui m’a le plus aidé·e ? En parler. À tout le monde. À voix haute. En partageant mon vécu sans honte, j’ai bâti une communauté autour de moi. Des gens qui me comprennent, qui savent quoi faire pour m’accompagner. J’ai aussi trouvé un emploi où je peux être moi-même, où on me soutient peu importe à quelle étape de mon cycle de TDAH je suis. Cette ouverture a tout changé.
En attendant le changement
Si tu es une personne neurodivergente qui a ses règles, sache que tu n’es pas seul·e. Ce que tu vis est réel. Ce lien entre menstruations et neurodivergence mérite d’être abordé, recherché et que l’on crée de l’espace pour.
Je souhaite que tout le monde — neurodivergent·e ou pas — apprenne à travailler avec son cerveau, au lieu de se battre contre lui. Nos besoins sont valables. Notre expérience est légitime. Et nous méritons de nous sentir bien dans notre corps.
Être neurodivergent·e, surtout quand on menstrue, ça n’est pas facile. Mais cela vient aussi avec une perspective unique, une créativité puissante, et une grande capacité d’adaptation. Nous avons besoin de plus de recherches, d’une meilleure compréhension médicale, et de produits pensés pour nos réalités. Mais en attendant, trouver sa communauté, défendre ses besoins, et choisir ce qui fonctionne pour soi peut vraiment tout changer.