Introduction
Récemment, j'animais un atelier lorsqu'une participante m'a signalé que l'une des sœurs Kardashian avait fait la promotion d'une nouvelle vitamine pour la « santé vaginale » sur Instagram. J'ai immédiatement roulé des yeux. Avant de vérifier, je savais qu'il s'agirait encore d'un autre produit hors de prix destiné à rendre les personnes ayant une vulve (encore plus) complexées à propos de leur corps. Après vérification, il était clair que c'était le cas. Des vitamines à 44 dollars (appelées « lemme purr » (1)) qui prétendent faire des choses absurdes et non prouvées, comme améliorer la santé vaginale, équilibrer le pH et améliorer l'« odeur ».
Les personnes qui ont une vulve sont visiblement obligées de perfectionner chaque partie de leur corps, de veiller à ce que leurs sourcils soient parfaitement dessinés, leurs ongles parfaitement manucurés, leur corps parfaitement minces et conformes, et entièrement épilés. Ces attentes s'étendent aux parties les plus intimes du corps d'une personne, avec une infinité de produits désormais dédiés à s'assurer que la vulve d'une personne soit parfaitement soignée, et que son vagin soit « propre » et « sente bon ». Ces produits vont des savons, sprays et déodorants aux lingettes, suppléments et même suppositoires.
Plongeons donc dans la réalité- les mythes et la misogynie sur lesquels reposent le développement et la commercialisation de ces produits, et la vérité sur ce dont votre corps a réellement besoin - ou pas - pour être en bonne santé.
L’histoire du marketing de “l’hygiène féminine”
L'avènement de la publicité capitaliste moderne a apporté avec elle un moyen « nouveau et amélioré » d'exploiter les insécurités des femmes et des personnes ayant une vulve - ou, en d'autres termes, de leur créer de nouveaux complexes qu'elles n'auraient jamais eues autrement.
C'est ainsi qu'ont été développés les premiers produits, notamment des poudres pour la "délicatesse féminine", des douches vaginales au "parfum délicieusement féminin de roses fraîches" pour "nettoyer et désodoriser", des déodorants pour la "zone vaginale" formulés pour une "confiance féminine totale" et des déodorants sous forme de suppositoires internes pour résoudre les "odeurs féminines". Le langage lui-même révèle l'hypothèse sous-jacente selon laquelle le corps naturel des femmes a besoin d'être corrigé.
Tout au long de la fin du XIXe et du XXe siècle, des entreprises ont diffusé des brochures vantant les mérites de désinfectants, de douches vaginales, de poudres et de pilules destinées à "traiter" les odeurs vaginales. À une époque où le manque d'éducation sur le corps féminin était encore plus grand et où la stigmatisation et la honte entourant les menstruations et la vulve étaient encore plus marquées. Ces brochures prétendaient souvent répondre à des questions médicales et personnelles auxquelles les personnes n'avaient souvent pas de moyen pour y répondre. Malheureusement, ces brochures professaient souvent des informations inexactes et nuisibles pour encourager l’achat de leurs produits parfumés, créant ainsi un cycle de désinformation qui persiste encore aujourd'hui. (2)
Les conséquences de cette stratégie de marketing dépassent largement la sphère commerciale. Ces campagnes ont fondamentalement modifié la façon dont la société perçoit le corps des femmes, en établissant le principe selon lequel les fonctions corporelles naturelles doivent être cachées, modifiées ou entièrement éliminées. Elles ont ainsi créé une culture où la valeur des femmes s'est trouvée liée à leur capacité de maintenir une norme impossible de "fraîcheur" et de "propreté".
Produits d’aujourd’hui
Ces produits et publicités peuvent sembler choquants et sexistes aujourd'hui, mais les choses n'ont pas vraiment changé au cours des dernières années. En effet, les personnes ayant une vulve sont aujourd'hui bombardées par des produits toujours plus innovants qui exacerbent les insécurités et jouent sur la stigmatisation misogyne, poussant les gens à vouloir garder leur corps discret. Les médias sociaux, les célébrités et les influenceurs, ainsi que les tactiques marketing créatives de la “culture du bien-être” ont joué un rôle majeur dans l'embuscade culturelle de ces produits.
L'approche moderne est plus insidieuse que son homologue historique. Au lieu d'humilier explicitement les femmes et les personnes ayant une vulve, le marketing d'aujourd'hui se déguise en autonomisation, en soins personnels et en optimisation de la santé. Le message est passé de « vous êtes sale » à « vous méritez d'avoir confiance en vous », mais l'implication sous-jacente reste la même : votre corps naturel est insuffisant.
Lingettes, savons et sprays
Il existe une multitude d'entreprises qui vendent des « lingettes intimes » prétendant prévenir les odeurs vaginales et favoriser la fraîcheur (en parlant des personnes comme on parlerait delégumes d'un supermarché). Vagisil (8) vend des lingettes qui "bloquent les odeurs", Stall Mates (9) vend des lingettes emballées individuellement qui prétendent préserver la "fraîcheur féminine" (qui sait ce que cela signifie), Summer's Eve (10) vend des lingettes au parfum floral qui éliminent les bactéries responsables des odeurs (bactéries dont, comme nous le verrons plus loin, votre corps a besoin), et même Victoria's Secret (11) vend maintenant des "lingettes intimes" qui sentent prétendument la noix de coco et la rose.
Et ce n'est pas tout. The Pink Bible (12) vend un spray qui prétend tuer les bactéries responsables des odeurs sur vos "parties féminines" et vous laisser une odeur de lait de fraise. Le site web d'Amazon regorge d'autres huiles parfumées, de lingettes, de savons et de sprays qui font toutes sortes de belles promesses, toutes destinées à exploiter et à exacerber des mythes misogynes séculaires sur les vulves et les vagins.
Le langage utilisé dans la commercialisation de ces produits est révélateur. Des termes tels que "parties féminines", "fraîcheur féminine" et "soins intimes" servent à infantiliser et à euphémiser des parties et des fonctions normales du corps. Ce choix linguistique renforce l'idée que les vulves et les vagins sont en quelque sorte honteux ou qu'il n'est pas approprié d'en parler directement, perpétuant ainsi la stigmatisation même qui stimule les ventes de ces produits inutiles.
Suppléments & suppositoires
Ces dernières années, parallèlement à l'engouement pour les probiotiques en général, les suppléments et probiotiques destinés aux personnes ayant un vagin sont devenus monnaie courante, comme l'a démontré Kourtney Kardashian elle-même avec les suppléments « lemme purr ». Ces produits représentent une évolution particulièrement intelligente dans le marketing de l'hygiène féminine, capitalisant sur la tendance au bien-être pour faire passer la même honte sous couvert de préoccupation thérapeutique.
Ces suppléments contiennent souvent des ingrédients dont les bienfaits revendiqués sont peu ou pas étayés scientifiquement. Beaucoup contiennent de l'extrait de canneberge, des probiotiques ou des vitamines qui, sans être nécessairement nocifs, n'apportent pas les avantages spécifiques promis en matière de santé vaginale. Les souches probiotiques contenues dans ces compléments ne sont souvent pas les mêmes que celles que l'on trouve naturellement dans les microbiomes vaginaux sains.
L’économie des complexes
Il est impossible d'ignorer que ces produits sont chers. Leur prix élevé montre à quel point les entreprises capitalisent sur les pressions que subissent les femmes et les personnes ayant une vulve pour répondre à des normes irréalistes de propreté et de beauté. Un flacon de vitamines à 44 dollars dont les bienfaits n'ont pas été prouvés représente plus qu'un simple prix excessif : c'est la monétisation d'un complexe créé de toutes pièces.
L'industrie de l'hygiène féminine, qui pèse des milliards de dollars dans le monde, repose entièrement sur l'idée que le corps naturel des femmes pose problème. Ce modèle économique nécessite la création et le renforcement continus d'insécurités pour maintenir la rentabilité. Les entreprises investissent massivement dans la recherche marketing afin d'identifier les nouvelles angoisses qu'elles peuvent exploiter, de l'"équilibre du pH" à la "santé du microbiome".
Voici une question révélatrice : Pourquoi n'y a-t-il pas de rayon consacré à la fraîcheur des pénis ? L'absence de produits équivalents pour les personnes ayant un pénis révèle la nature genrée de cette industrie. Le corps des hommes est autorisé à exister naturellement, tandis que celui des femmes est traité comme un projet perpétuel nécessitant une amélioration et un entretien constant.

La science derrière la santé vaginale : ce dont votre corps a réellement besoin
Voici l'essentiel : votre vagin est autonettoyant. Il possède ses propres mécanismes pour maintenir un équilibre bactérien sain, et l'introduction de produits artificiels, en particulier ceux qui contiennent des parfums ajoutés, peut perturber cet équilibre et provoquer des irritations, des réactions allergiques et des infections.
Le microbiome vaginal est un écosystème complexe dominé par des bactéries bénéfiques, principalement des lactobacilles, qui produisent de l'acide lactique pour maintenir un environnement acide (pH 3,8-4,5). Cette acidité empêche naturellement les bactéries nocives et les levures de proliférer (13). Lorsque vous introduisez des produits externes, en particulier ceux qui contiennent des parfums, des produits chimiques agressifs ou un pH inapproprié, vous pouvez perturber cet équilibre naturel et augmenter le risque d'infections.
Le vagin dispose également d'un mécanisme de nettoyage naturel grâce aux pertes vaginales , qui permettent d'éliminer les cellules mortes et les bactéries. Ces pertes varient tout au long du cycle menstruel et sont tout à fait normales. L'idée que ce processus naturel doit être amélioré ou remplacé n'est pas seulement scientifiquement infondée, elle est aussi potentiellement dangereuse. Tant que vous ne présentez pas de symptômes tels que des pertes inhabituelles, des démangeaisons persistantes, des brûlures ou une forte odeur de poisson, vous êtes probablement en parfaite santé. Si c'est le cas, il n'existe pas de savon parfumé spécial pour « régler » le problème et vous devriez consulter un.e professionnel.le de santé.
Voici un fait intéressant : le discours populaire se moque souvent des personnes dont la vulve a une odeur de « poisson ». Une telle odeur peut souvent indiquer une vaginose bactérienne (VB), dont une étude récente a montré qu'elle est souvent liée à des rapports sexuels avec des partenaires masculins (14). L'ironie d'une tendance misogyne qui trouve son origine dans un phénomène dont les hommes eux-mêmes sont souvent la cause, et pour lequel les femmes sont souvent blâmées et ridiculisées, est une parfaite étude de cas du patriarcat.
La véritable santé vaginale implique de comprendre ce qui est normal pour son corps, de pratiquer une bonne hygiène générale (lavage externe à l'eau claire ou au savon doux et non parfumé), de porter des sous-vêtements en coton respirant, de s'hydrater et de consulter un.e médecin en cas de symptômes réels. Elle ne nécessite pas de produits spéciaux, de suppléments ou de vigilance constante à l'égard des fonctions naturelles de l'organisme.
Ce qui compte vraiment
L'industrie de l'hygiène féminine a passé plus d'un siècle à fabriquer cette honte, créant un marché de plusieurs milliards de dollars fondé sur l'exploitation des insécurités liées à des fonctions corporelles parfaitement normales. La vérité est radicale dans sa simplicité : votre corps n'est pas défaillant, votre parfum naturel n'est pas repoussant et votre vagin n'a pas besoin de sentir la rose. Pour se libérer de ces récits néfastes, il faut remettre en question les messages que nous avons intériorisés, faire confiance à nos propres expériences plutôt qu'aux affirmations du marketing et remettre en question les systèmes qui profitent de nos insécurités. Votre corps mérite mieux que des produits conçus pour l'obliger à se conformer - il mérite le respect, la compréhension et la liberté d'exister naturellement. La sale vérité sur le fait de rester "propre", c'est que vous l'avez toujours été ; c'est l'industrie qui vous vend le contraire qui est vraiment sale.