Imaginez la scène : le Cinéma Moderne un mardi soir de mars, rempli de visages curieux de tous les âges. Certain.es sont venu.es avec des ami.es, d'autres se sont aventuré.es seul.es. Qu'est-ce qui les a rassemblé.es ? Un désir partagé de parler enfin de quelque chose dont on chuchote depuis bien trop longtemps : la ménopause. Le 11 mars, Dignité Mensuelle a organisé une projection de The M Factor: Shredding the Silence on Menopause, suivie d’un panel qui a suscité l'envie de continuer les discussions. En quelques jours après l'annonce, l'événement était presque complet. Si on avait besoin d'une preuve que les gens sont prêts à parler de ménopause, on l'avait eue.
Pourquoi la ménopause ? Pourquoi maintenant ?
L'idée a émergé d'un simple schéma que l’on n'arrêtait pas de remarquer. Après chaque atelier sur la santé menstruelle, la même question revenait presque toujours : « Quand allez-vous faire quelque chose sur la ménopause ? » Le besoin était clair : les gens avaient soif d'information, de discussion, et surtout, de représentation.
Ce qui a commencé comme un plan pour un atelier de base a rapidement évolué quand on a plongé dans la recherche et découvert une réalité flagrante : le vide informationnel massif autour de la ménopause. Pas un petit écart, mais une absence abyssale de données, surtout en ce qui concerne les réalités intersectionnelles de cette transition de vie. On tombait sur un nombre interminable d’histoires de symptômes ignorés, d'expériences minimisées, et de personnes traversant cette période de changement essentiellement seules. C'est exactement pourquoi on voulait projeter ce documentaire, pour susciter des conversations, augmenter la visibilité des expériences, et favoriser un sentiment de communauté..

L'Événement
La soirée a commencé par des accueils et des échanges chaleureux. À 19h, les lumières se sont tamisées et le public s'est installé pour découvrir ce film informatif tant attendu. Le documentaire aborde des sujets cruciaux souvent ignorés dans les soins de santé traditionnels : les changements cognitifs qui peuvent donner l'impression de se perdre soi-même, les perturbations du sommeil qui affectent tous les aspects de la vie quotidienne, et les changements d'identité profonds qui accompagnent cette transition biologique. Pour beaucoup dans le public, c'était la première fois qu’iels voyaient leurs expériences reflétées à l'écran.
Quand le générique a défilé, la conversation ne faisait que commencer. Notre table rond post-projection réunissait une équipe formidable : Diana Palacios de Happy Periods, Marie-Josée Bourassa de Clinique Menojoie, Professeure Robyn Jacquays, et la commissaire d’art et chercheuse Tamar Tembeck. Ce qui a suivi était l'une des conversations les plus franches sur la ménopause qu'on ait jamais vécues.
Chaque panéliste a apporté un éclairage essentiel sur l'importance d'aborder la ménopause dans toute sa diversité. Marie-Josée a puisé dans ses vingt-cinq années d'accompagnement holistique, partageant des expériences tirées de son travail dans de grandes institutions de santé et d'innombrables témoignages de femmes qu'on ne trouve jamais dans les manuels médicaux. Diana a mis en lumière comment les tabous culturels renforcent le silence chez les femmes et communautés latino-américaines. Robyn a insufflé une énergie militante remarquable, invitant chacun.e à vivre sa ménopause avec un sentiment de justice et à refuser qu'on minimise ses besoins de santé. Tamar, en modératrice, a su tisser avec aisance réflexion académique et curiosité sincère, rendant des sujets complexes à la fois accessibles et pressants. Le résultat ? Une discussion profondément humaine et bienveillante, où expertise et vécu se sont mélangés naturellement..

Naviguer des ressources imparfaites
Nous croyons fermement à la transparence, particulièrement en matière de santé. Le jour même de notre projection, nous avons découvert certaines préoccupations concernant les affirmations médicales dans The M Factor, notamment sur la testostérone, les suppléments, et les enjeux entourant les traitements hormonaux. Même si le documentaire fait beaucoup de bonnes choses, l'information n'est pas toujours juste ou sans conflits d'intérêts, et nous pensons que tout le monde mérite de le savoir dès le début.
Il y a quelques domaines où le film ne cadre pas avec les connaissances médicales actuelles. Le documentaire laisse entendre que le traitement hormonal substitutif ne présente aucun risque de cancer du sein, alors que les études révèlent une légère augmentation - environ 6 cas supplémentaires par 10 000 femmes annuellement. Voici la nuance : dans les années 1990, la Women's Health Initiative (WHI) - la première grande étude sur les effets du THS - semblait démontrer que les hormones augmentent les risques de cancer du sein et de maladies cardiovasculaires. Mais en ré-analysant les données, les chercheurs ont réalisé que c'était probablement parce que les femmes de l'étude avaient commencé le traitement bien après le début de leur ménopause. Ces résultats ne s'appliquent donc pas aux femmes qui veulent commencer un traitement hormonal pour gérer leurs symptômes de périménopause.. Même si le consensus médical reconnaît maintenant que le THS est sécuritaire pour traiter les symptômes de la ménopause, beaucoup de professionnels de la santé hésitent encore à le prescrire malgré ses bénéfices potentiels.
Le film fait aussi des affirmations inquiétantes selon lesquelles 30% des femmes perdraient une dent durant les cinq premières années de ménopause, ce qui déforme complètement les données. L'étude citée portait en fait sur la perte de dents sur une période de cinq ans chez des femmes déjà ménopausées (âge moyen 66 ans), pas sur la perte dentaire spécifiquement dans les cinq années suivant le début de la ménopause. Cette nuance change tout quand on dit aux gens à quoi s'attendre de leur corps.
Le documentaire recommande aussi des tests hormonaux de routine (que les organisations médicales ne soutiennent pas), prétend que le THS prévient les maladies cardiaques et la démence (ce qui n'est pas son usage recommandé), et fait la promotion de la testostérone au-delà des recommandations établies. Plusieurs expert.e.s du film ont également des intérêts financiers dans les compagnies de suppléments qu'ils soutiennent. Sans oublier qu'il passe sous silence des traitements non-hormonaux efficaces comme certains médicaments et la thérapie cognitivo-comportementale.
On ne cherche pas à rejeter complètement le film; il fait un travail important en brisant les tabous et en donnant la parole à des voix ignorées. Ce qu'on veut, c'est encourager une approche critique de toute information de santé, surtout dans un domaine où les bonnes ressources sont rares. On ne va pas cacher les ressources imparfaites, mais on veut outiller les gens pour les aborder intelligemment, chercher plusieurs perspectives, et poser les bonnes questions. Cette approche nous semble essentielle pour tout sujet de santé, mais encore plus pour un sujet si longtemps négligé.
Ce qui a rendu notre soirée au Cinéma Moderne si précieuse, c'est d'avoir eu nos formidables panélistes pour apporter contexte, nuances et perspectives fondées sur les preuves en complément du film. L'expertise clinique de Marie-Josée, le vécu personnel et l'approche militante de Robyn, la pédagogie de Diana, et la modération éclairée de Tamar ont créé exactement le type de conversations complexes et critiques qu'aucune source ne peut offrir seule.
L’effet domino
Alors que les gens quittaient le Cinéma Moderne, quelque chose avait changé. Dans le hall, on entendait des murmures : « Tu connaissais ce symptôme ? » « Je savais pas que ça touchait le cerveau. » « Mon docteur ne m'en a jamais parlé. » Ces échanges prouvaient qu'on avait accompli quelque chose d'important : les gens connectaient enfin les points, partageaient ce qu'iels vivaient, et découvraient qu'iels n'étaient pas seul.es avec leurs questions et leurs craintes.
C'est exactement ça, briser le silence. Pas un grand moment spectaculaire, mais plein de petits moments qui se propagent dans nos communautés, nos familles, nos cercles d'amis, et qui finissent par transformer notre façon de parler de santé reproductive.
Donc non, c'était loin d'être une soirée cinéma comme les autres. C'était bien plus que ça. Et on a déjà hâte d'organiser la prochaine séance…
Pour en savoir plus sur les enjeux soulevés par le documentaire, lisez l'article de Dr. Jen Gunther
